Le concept de « race » dans la Constitution de la 5ème République et les conventions internationales
La Constitution du 4 octobre 1958 a institué la 5ème République. Son article 1er, qui définit les valeurs fondamentales de la République, stipule que « [La France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » (1er alinéa, 2éme phrase) [lors de la révision de 1995, le 1er alinéa de l’article 2 a été déplacé pour former l’actuel article 1er].
La catégorisation des êtres humains selon des critères morphologiques, spécialement la couleur de peau, en relation avec des caractéristiques socioculturelles, qu’implique la notion de race et qui est susceptible de donner lieu à une hiérarchie entre les groupes humains, est aujourd’hui réprouvée du fait des progrès de la science, notamment des travaux en génétique humaine.
C’est pourquoi – la dernière révision de la Constitution remontant à juillet 2008 – le projet de révision en cours, intitulé « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », considérant le terme « race » comme « scientifiquement infondé et juridiquement inopérant », prévoit de remplacer une partie de cet article par : « sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». Dans ce cadre, l’Assemblée nationale a voté en juillet 2018 le retrait du mot « race » de l’article 1er de la Constitution, mais il n’a pas encore été validé par le Sénat ; le projet devra ensuite être soumis au Congrès du Parlement, mais son avenir est incertain.
On peut estimer de prime abord, eu égard à la raison d’être de la présence de ce terme : le rejet des thèses racistes prônées par le nazisme, que sa suppression de notre ordre juridique, régulièrement évoquée, « ne présenterait pas d’autre inconvénient que celui d’une sorte d’anachronisme, utilisant une gomme d’aujourd’hui pour effacer ce qui était utile, et nullement suspect, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale » (Professeur Guy Carcassonne).
Mais ôter le mot « race » de la Constitution pourrait s’avérer contre-productif. Robert Badinter, dans une intervention remarquée au Sénat en 2008, s’était opposé à une telle suppression, la référence à la race lui paraissant nécessaire pour formuler la prohibition de la distinction fondée sur la race, sauf à faire disparaître la condamnation solennelle du racisme par la Constitution. TI convient aussi de considérer que la lutte contre l’antisémitisme repose sur la trilogie origine, race et religion. Pour Cédric Villani, médaille Fields de mathématiques, élu député, ce retrait ne doit pas être décidé au nom de la science, mais « de l’empathie et du sens du destin commun par lesquels nous reconnaissons toute l’humanité comme nos frères et sœurs ».
Le Préambule de la Constitution de 1946, réaffamé par celui de la Constitution de 1958, fait partie intégrante du « bloc de constitutionnalité ». Dans le 1er alinéa de ce texte, « [ … ] le Peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». On conçoit mal que l’on puisse modifier un texte historique. Par ailleurs, le 16ème alinéa du Préambule déclare que « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité de droits et de devoirs, sans distinction de race ni de religion ». Toutefois, dans ce dernier cas, il s’agit d’une disposition désuète, n’ayant plus d’objet depuis la dissolution, dès 1960, de la Communauté française qu’avait instituée la Constitution de 1958. (Une disposition similaire de la Constitution, qui figurait à l’article 77, 3ème alinéa, a disparu avec l’abrogation tardive du titre consacré à la Communauté par la loi constitutionnelle du 4 août 1995).
La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a de même pleine valeur constitutionnelle, n’a pas recours à la notion de race, laquelle a été invoquée après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le Conseil constitutionnel a déjà fait référence à la notion de « race ». Dans une décision du 9 mai 1991, relative au statut de la Corse, il a déclaré que la Constitution « ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion » (considérant 13). TI a de plus invoqué explicitement le concept de race, à propos des traitements statistiques de données en vue de la maîtrise de l’immigration, qui « ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race » (décision du 15 novembre 2007, considérant 29).
Les Constitutions des États voisins de la France, à ce jour encore et en dépit des polémiques, retiennent pareillement la présence du mot « race ». Dans la Loi fondamentale de l’Allemagne, datant de 1949 et profondément révisée en 1990, l’article 3 § 3 énonce : « Nul ne doit être discriminé ni privilégié en raison de son sexe, de son ascendance, de sa race, de sa langue,
de sa patrie et de son origine, de sa croyance, de ses opinions religieuses ou politiques. Nul ne doit être discriminé en raison de son handicap. » La Constitution italienne, adoptée en 1947, proclame, en son article 3, 1er alinéa, l’égalité devant la loi, sans distinction, entre autres, de race. TI en va de même de la Constitution espagnole de 1978, en’ son article 14.
Cependant, le terme « race a disparu de la législation pénale française : l’expression « une prétendue race » lui est désormais substituée, le racisme étant retenu comme une circonstance aggravante. En effet, estimant que le mot « race » « n’est pas applicable aux êtres humains », la loi du 27 janvier 2017, relative à l’égalité et à la citoyenneté, et le décret du 3 août 2017 ont modifié en ce sens un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires du Code pénal.
Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui est l’un des deux traités sur lesquels est fondée cette union d’États, se réfère, en son article 19 § 1, à la notion de race, en tant qu’élément de non-discrimination ; c’est le cas également de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ayant depuis 2009 la même valeur juridique que les traités, à l’article 21 § 1 de ce texte.
La Déclaration universelle des Droits de l’homme, proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948 – convention que la France n’a pas ratifiée – prohibe les distinctions fondées sur la race ou la couleur (article 2 § 1) ainsi que les restrictions quant à la race en matière de mariage (article 16 § 1) et prend en compte l’existence de « groupes raciaux » (article 26 § 2).
Cette résolution a été complétée en 1966 par deux Pactes internationaux, à caractère obligatoire, sur la garantie des droits, qui invoquent à plusieurs reprises les concepts de race et de couleur : l’un est relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (voir articles 2 § 2 et 13 § 1) l’autre, signé à New York, aux droits civils et politiques (voir articles 2 § 1, 4 § 1, 24 § 1,25 et 26).
Quant à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, établie sous l’égide du Conseil de l’Europe en 1950 et ratifiée par la France en 1974, son article 14 affirme le principe de non-discrimination en ces termes : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
Le Protocole n° 12 à cette Convention européenne des Droits de l’homme, adopté en 2000, mais non encore signé par la France, interdit de manière générale, à l’article 1er, toute forme de discrimination qui serait fondée sur les motifs précédemment mentionnés dans la Convention, lesquels sont réitérés en ses § 1 et 2.
Par ailleurs, la Convention de New York de 1990, relative aux droits de l’enfant, énonce les droits qui sont garantis à tout enfant jusqu’à l’âge de dix-huit ans, sans qu’il soit opéré de distinction et indépendamment de toute considération de race ou de couleur (3ème alinéa du préambule et article 2 § 1).
Il reste à savoir, et c’est bien là le cœur du problème, si la disparition de nos textes fondamentaux du mot « race » entraînerait nécessairement celle des discriminations et l’abolition du racisme. Il est permis d’en douter, aussi il est des réformes qu’il vaut mieux examiner longuement avant de les mettre en œuvre. La situation actuelle présente en outre l’avantage de maintenir une cohérence entre les divers textes traitant du principe d’égalité.
Étude réalisée par Alain Meyet, juriste.
Paris, le 6 septembre 2021.